A bien y réfléchir depuis que j’arpente la planète, je dois éprouver une sorte de fascination pour les établissements pénitenciers. Cela a commencer avec mon séjour à Cayenne en l’an 2000.
Depuis la visite de l’île du diable, du bagne de Saint Laurent du Marroni et du bagne de Crique Anguille (alias « Bagne des Annamites »), il y a eu Tuol Sleng, le lycée prison des Khmers rouges à Phnom Penh puis le pénitencier de Port Arthur en Tasmanie. Partout la même émotion qui vous prend lorsque vous poussez la porte d’une de ces cellules.
Mais la visite du bagne de Poulo Condor avait pour moi une signification particulière. D’abord par le souvenir de ce nom qui m’évoquait déjà un lieu mythique lorsque j’étais enfant. Puis par le fait qu’un membre de ma famille y séjourna à plusieurs reprises au cours de la première moitié des années 70. Elle voulait faire le voyage avec moi mais ce ne fut finalement pas possible.
Il faut d’abord préciser qu’il existe plusieurs bagnes sur l’île de Con Dao. Le premier date de 1862 et est l’oeuvre des colons français arrivés seulement un an avant. Ce détail montre bien la volonté de l’administration coloniale de faire de Con Dao un centre pénitencier dès le tout début de son implantation sur l’île. D’ailleurs il est frappant de constater que le bagne se situe en plein coeur de la ville. En moins que ce ne soit la ville qui s’est construite autour du bagne. Au début des années 50, sans doute devenu trop exigu, un deuxième pénitencier voit le jour à peine 1Km plus loin.
C’est là que se trouvent les fameuses cages à tigres dont je vous ai déjà parlé. Construit par l’administration française, il sera réutilisé quelques années plus tard par l’administration du Sud Vietnam jusqu’en 1970. La découverte des cages à tigres par des membres du sénat américain obligera les autorités de l’époque à fermer le centre, mais pour en ouvrir un troisième, à l’abri des regards à un peu plus d’1 Km de là…
Ce qui frappe le plus lorsqu’on entre à Poulo Condor, c’est le calme du lieu qui pourrait presque faire penser à une désaffectée: mur d’enceinte, porche d’entrée, grande cour centrale pavée avec de grands arbres, abris genre préau avec réfectoire, bâtiments périphériques ocres avec toiture élégante en tuiles.
Un détail pourtant semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’une école: la petite taille des fenêtres aux murs, situées en hauteur et pourvues de barreaux et de barbelés. Lorsqu’on pousse l’une des lourdes portes, on comprend tout de suite ce pour quoi ces bâtiments de style colonial ont été conçus.
Il y a d’abord ces vastes salles communes où étaient détenus les premiers bagnards. Les plus chanceux pouvaient se déplacer « librement » à l’intérieur, tandis que les autres, considérés comme « dangereux » étaient immobilisés les fers aux pieds. Il s’agissait en fait de grosses manilles en fer forgé dans lesquelles on bloquait la cheville des détenus. Le tout étant fixé à une longue barre métallique allant d’un bout à l’autre de la pièce, permettant d’immoboliser en même temps plus d’une dizaine d’hommes. On imagine les conditions d’hygiène et on comprend mieux pourquois il y eu un taux de mortalité si important.
Mais ce que n’avaient pas prévu l’administration pénitencière, c’est que le bagne de Poulo-Condor, sensé isoler les éléments subversifs, notamment les nationalistes, allait vite devenir une pépinière pour ce courant politique naissant. C’est ainsi qu’on retrouvera plus tard nombre de grandes figures du parti communiste vietnamien comme Lê Duc Tho ou Pham Van Dong comptant parmis les anciens détenus de Poulo-Condor. Ho Chi Minh, lui, aura eu plus de chance, puisque, à l’exception d’un séjour dans les prisons britanniques de Hong Kong au début des années 30, il ne sera jamais captuté par les français…
A 1 Km du premier bagne, le deuxième centre pénitencier offre une vision encore plus émouvante. Construit en 1940, il comprend en particulier les fameuses « cages à tigres ».
Divisé en 2 quartiers de 60 cellules d’à peine 4m2, celles-ci étaient surmontées d’une grille permettant aux geoliers de surveiller en permanence les détenus enfermés à 2 ou 3 dans ces cachots minuscules. Un chemin de ronde surmontait l’ensemble. En cas de rébellion, les gardiens pouvaient asperger les détenus de chaux. Un petit détail montre avec quel soin l’architecte avait conçu ces cellules: l’absence d’angle droit de part et d’autre de la porte pour éviter les angles morts lorsque les gardiens venaient distribuer la nourriture ou vider les caisses d’aisance…
Il est curieux d’apprendre que certains prisonniers, une fois libérés en 1975, préférèrent rester sur l’île. C’est le cas de cet homme qui devint directeur du musée du bagne après y avoir été séquestré pendant 5 années. Aujourd’hui retraité, il tient une petite gargote à deux pas de celui-ci. Il paraît que d’anciens gardiens se sont également définitivement installés sur Con Dao, ne parvenant pas, eux non plus, à tourner la page. Anciens gardiens et détenus se retrouvent-ils parfois autour d’une table dans son café?
Lir plus: Con Dao: le paradis sur terre et sous la mer
D’après « David Tran »