Poulo Condor: Sous ces grilles, des hommes en cage

Table de matières

Dans une semaine je foulerai pour la première fois le sol de l’île de Con Dao. Ce sera pour moi un moment particulier au cours de ce séjour de bientôt 3 années passées ici au Vietnam. C’est aujourd’hui une destination touristique très prisée avec des plages de sable fin, une eau turquoise et une végétation luxuriante.

Angelina Jolie et Brad Pitt y ont même séjourné récemment lors d’un voyage au pays de leur enfant adoptif. Mais le nom de Con Dao n’a pas toujours été associé à cette image de paradis terrestre. Si ce nom ne vous évoque rien, peut-être que celui de Poulo-Condor ravivera d’avantage de souvenirs.


Cet archipel situé à 250Km au sud-est de Saigon a en effet porté plusieurs nom depuis sa découverte par Marco Polo en 1294. Le nom de Poulo Condor dérive du malais « Pu Lao Kundur » qui signifie « l’île aux courges ». Les français tentent de s’y installer une première fois en 1686, mais ce sont les anglais qui en 1702 y établissent un entrepôt de marchandises entre l’Europe et la Chine. Mais trois années plus tard, ces derniers se retirent après y avoir perdu une bonne partie de leur garnison massacrée par leurs propres soldats malais.

Il faut ensuite attendre le traité de Versailles de 1783 signé entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, pour que Poulo Condor tombe officiellement dans le giron de la France (Pour la petite histoire, c’est également ce traité qui ratifia l’autorité de la France sur la Martinique, la Guadeloupe et quelques comptoirs en Inde) . A cette période, le roi Gia Long, renversé par la révolte dite des Tay Son vint plusieurs fois se réfugier dans l’archipel avant de retrouver son trône aidé par les « mandarins bretons » Jean-Baptiste Chaigneau et Philippe Vannier (relire à ce sujet le billet du 7 septembre 2011).


C’est à partir du XIXème siècle que l’île de Poulo Condor va devenir tristement célèbre. Les autorités françaises -qui entre temps ont colonisé l’Indochine- y installent un établissement pénitentiaire. Le premier convoi de prisonniers annamites y arrive en 1862 et inaugure une longue tradition qui se perpétuera au siècle suivant lors des différents conflits qui vont se succéder. 

Il faut rappeler qu’à cette époque les Bagnes fleurissent un peu partout dans les colonies. Tantôt destinés à y interner les opposants politiques à « l’oeuvre civilisatrice » du colonisateur (Poulo Condor), tantôt destinés à y éloigner de la mère patrie, toutes celles et ceux considérés comme nuisibles (Bagne de Nouvelle Calédonie, de Guyane).
Les conditions de vie au Bagne de Poulo Condor étaient particulièrement rudes. En 1898, un rapport fait état d’un taux de mortalité de 70% du au Béri Béri. Plusieurs insurrections jalonnent l’histoire du bagne au début du XXème siècle.


Au début des années 30, les autorités s’en inquiètent et décident le transfert d’une partie des détenus de Poulo Condor vers la Guyane! Ce sont eux qui seront envoyés en pleine forêt amazonienne au Bagne dit « des Annamites » au camp de « Crique Anguille ». Des son ouverture en septembre 1931, le camp hébergera 395 indochinois. Ceux qui auront survécu au voyage par bateau succomberont à la fièvre jaune et au paludisme sans jamais revoir leur patrie. A la fermeture du bagne en 1945, les survivants s’installeront pour la plupart au quartier « Chinois » de Cayenne. Une minorité d’entre eux seront finalement rapatries au Vietnam en 1954.

Il ne reste malheureusement pas grand chose du Bagne des Annamites, aujourd’hui envahi par la forêt tropicale. J’ai eu la chance de le visiter lors d’un séjour en Guyane en mai 2000. Après une marche d’une heure dans la forêt, le chemin aboutissait sur une clairière où subsistait une rangée de cachots en béton, d’à peine 2 mètres carrés de surface et dont le plafond était en fait une grille métallique. A l’époque, j’avais ressenti une vive émotion à la vue de ces vestiges en pensant à ces hommes venus de si loin pour finir oubliés de tous dans cet enfer vert. S’ils ont eu une sépulture, il n’en reste plus rien sur le site de Crique Anguille.


Des figures illustres de l’indépendance du Vietnam ont séjourné à Poulo Condor. Citons Pham Van Dong, le futur premier Président du Vietnam réunifié qui y fut interné de 1929 à 1936, Lê Duân, Lê Duc Tho (qui refusera le prix Nobel de la paix en 1973). Plusieurs révolutionnaires reposent aujourd’hui au cimetière de Con Dao-Poulo Condor, dont la célèbre Vo Thi Sau, fusillée par l’administration coloniale française le 23 janvier 1952, à l’âge de 19 ans (après avoir assassiné deux compatriotes collaborateurs). Figure emblématique de la résistance au colonisateur, elle est aujourd’hui l’objet d’un véritable culte de la part des vietnamiens.


La fin de la colonisation ne va malheureusement pas signer la fermeture du pénitencier qui reprendra du service lors de la guerre du Vietnam. C’est à cette occasion que j’ai entendu parler de Poulo Condor pour la première fois. Je me rappelai de coupures de journaux de Paris Match découpées par mon père dans les années 70, où on pouvait y voir des hommes et des femmes en cage.


Lors d’un récent séjour dans la maison familiale, j’ai retrouvé ce numéro de Paris Match du 27 juillet 1970 qui faisait sa une sur la mort de Luis Mariano! En page 12, l’évènement de la semaine portait ce titre: « Sous ces grilles, des hommes en cage ». Je reproduis ici l’intégralité du reportage de Match.

Quelques semaines plus tôt, le magazine américain « Life » publiait les photos des « cages à tigre » prises par Tom Harkin, accompagnant une commission du Sénat américain, venue inspecter les conditions de détention sur Con Dao.

La petite délégation, alertée par une rumeur sur la présence des fameux cachots, avait réussi à s’écarter de la visite guidée du pénitencier pour pénétrer le bâtiment où étaient enfermés les opposants politiques au régime du Sud Vietnam (cet épisode est aussi relaté dans le roman « Riz noir » d’Anna Moi, dont je vous ai déjà parlé le 4 mars 2012).


Leur témoignage ainsi que les fameuses photos de Harkin feront le tour du monde et contribueront au retournement de l’opinion publique américaine sur la guerre du Vietnam.
On peut faire un parallèle aujourd’hui avec la prison d’Abou Ghraib en Irak, qui fut l’objet d’un scandale en 2004 lorsque l’opinion publique découvrit les photos de prisonniers irakiens humiliés par des soldats américains. Décidément l’histoire se répète. Combien de Poulo Condor et d’Abou Ghraib existe-t-il de part le monde?

 Source bibliographique: La terre du Dragon (tome 1) de Xavier Guillaume, pp 95-98, Edition Publibook

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

DMCA.com Protection Status
WhatsApp On discute ?